Langues de feu

Laval, Éd. Trois, 1990, 226 p., épuisé.
Traduit en portugais brésilien, Línguas de Fogo, note d’introduction et traduction de Lúcia Peixoto Cherem avec relecture de l’auteure, préface d’Otto Lara Resende, Editora Nós, São Paulo, 2023 (Limiar, 2002).

Résumé

Par cet essai, j’ai souhaité partager ma perception d’une oeuvre dont l’étrangeté suscite perplexité et fascination. J’ai puisé, pour ce faire, à tous les textes de Clarice Lispector publiés en français ou qui étaient encore inédits dans la langue portugaise même (extraits de cahiers de notes personnels, derniers fragments épars, etc.). J’ai proposé en prime un choix de photographies, dont certaines étaient inédites, glanées au cours de recherches au Brésil où j’ai séjourné à maintes reprises afin de m’imprégner notamment du climat dans lequel l’écrivaine a passé une grande partie de sa vie.

Dans « L’esprit des langues », en guise d’ouverture, la rencontre avec ses textes et avec le Brésil.

Dans « Le don des langues », j’aborde l’importance de la voix chez Clarice Lispector et son rapport aux langues à la source de son oeuvre, entremêlant éléments biographiques et fragments de textes alors inédits. Aucun critique ni au Brésil ni dans le monde ne s’était encore sauf erreur intéressé aux situations « bilingues » dans lesquelles, sa vie durant, C. L. a été plongée par ses activités de traductrice et au cours de séjours en Europe et aux États-Unis où elle accompagnait son mari diplomate.

Dans « La construction du Temple », je présente l’ensemble de ses quelque vingt-cinq publications (romans, nouvelles, textes courts, fictions poétiques, chroniques). Une lecture personnelle, où les nombres et les figures géométriques ont servi de points de repère pour saisir le mouvement à l’origine de l’oeuvre.

Au terme de Langues de feu, « En guise de retraite », un texte alors inédit de la plus importante des romancières du Brésil.

Extrait

Lorsque j’ai fleuri sa tombe au matin du dixième anniversaire de sa mort, le gardien du cimetière a tranché: Vous avez tout fait de travers.
Nous avions commis une triple profanation du cimetière israélite du Cajú de Rio de Janeiro, Brésil : l’homme qui m’accompagnait n’avait pas mis la calotte juive en pénétrant dans le lieu du culte; j’avais déposé trois roses sur la tombe, mais ce sont des cailloux ─ ai-je par la suite appris ─ qu’il fallait laisser en signe de notre passage; enfin, nous avions photographié la pierre tombale. Le cerbère était outré. […]

Le 9 janvier 1983, je débarquais à Rio de Janeiro, soutenue par l’amour de ses textes, découverts grâce à la traduction que je bénis malgré ses avatars. Je suis partie la retrouver en dépit de sa mort physique survenue le 9 décembre 1977. Déjà, en 1979, je l’avais rencontrée en lisant La passion selon G.H. Cette passion : une dangereuse flamme qui allait pourtant, plus tard je le saurais, me fortifier.

J’ai fait à toute heure du jour de la traduction simultanée afin de survivre en terre inconnue. En danger de schizophrénie au bord des mondes, entre l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord, j’ai subsisté. Oscillant entre la perte, provoquée par la mise en veilleuse d’un moi initial, et l’acquisition d’une nouvelle individualité, cet être naissant dans une autre langue, bercé par un rythme différent. Nouveau-né en croissance dans la chaleur de l’été de Rio de Janeiro, 40° degrés à l’ombre. J’étais à l’origine et lisais dans la lumière l’œuvre de Clarice Lispector (sept romans, plus de soixante-dix nouvelles et textes courts, deux livres de prose, des contes pour enfants). J’apprenais ses dernières paroles : Manque d’air subit… Si ma mémoire est bonne, moi, moi, je mourrai. C’est que tu ne sais pas combien pèse une personne qui n’a pas de force. Donne-moi ta main, j’ai besoin de la serrer pour que ça ne fasse pas si mal.

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